6 août.
Je passe la matinée à râper et passer des cales de feutre sur le bât d'Aramis afin d'améliorer la surface de contact avec le dos de la mule.
J'affinerai ce soir le travail en fonction du résultat. Décollage à midi, je poursuis ma route sur ce superbe GR. Grosse grimpette, grosse
descente et me voilà à Dieulefit. Mais où vais-je dormir ? Je traverse la ville par la nationale, la mule dans une main et le cheval dans
l'autre. Le nez dans les cartes je réfléchis… quand une voiture s'arrête: "Vous ne seriez pas la cavalière qui fait le tour du monde ? Non, je
vais en Chine. Oui, c'est ça. Je vous ai vu dans le journal, venez chez moi, il y a du foin, un parc et de l'eau pour les chevaux." Il y aura
plus que ça : un parc, du foin, un abris et un matelas pour dormir, un repas du soir, un clafoutis, le petit déjeuner et beaucoup de
gentillesse - tout le quartier s'est mis en quatre pour m'accueillir.
10
Août. 1000 mètres de dénivelé d'une traite, c'est vraiment la montagne. Le cheval est increvable… J'ai dû en faire 800 en selle sans
aucun remord tant il en demande. La mule essaie de suivre et en montée, je dois freiner le cheval. Après la montée, la descente…
11 Août. Rencontre de Michel : "Je ne pensais pas que la route de la
Chine passait par chez moi… Ah si, pour aller en Italie". Il pleut.
12 Août. Après la pluie vient le beau temps. Enfin je plie une tente
sèche, le paysage scintille, un son de cloche, des chiens aboient, un âne braie et au loin j'entends quelques voitures. Après un copieux petit
déjeuner, je répare le bât - les lanières qui tenaient les capitons avaient lâché - je lève le camp et prend la route pour Lus la Croix
Haute, vallée de Boule. Les chevaux m'épatent en suivant un petit parcours du combattant sur le chemin qui monte au col de Lus, raidillon,
chemin étroit, pierrier, tronc, passage de rivière. Pendant une heure Cysko et Aramis découvrent les difficultés de la montagne et apprennent
rapidement. Bon, il est temps de trouver un bon chemin, la concentration fatigue chacun et la tension monte. Une piste forestière nous mène
jusqu'à la ferme Pavier à 1500 m d'altitude, ferme exploitée jusqu'à peu (20 ans) et maintenant ouverte aux randonneurs avec plein d'herbe et des
cerises mûres à point en Août... Nouvelle descente par le chemin des templiers. La bonne conduite des équidés dans les difficultés de la
montée me fait préjuger de leurs capacités. Je les embarque sur des dalles rocheuses et glissantes à 45 degrés. Passage obligé de 2 mètres
pour traverser la rivière. Le cheval tombe sans se faire mal. Avant d'avoir le temps d'arrêter la mule qui passe, confiante. Elle tombe
aussi et se fait une petite contusion sur la cuisse suffisante pour boiter. Je poursuis le chemin et tombe sur un arbre infranchissable - il
faut repasser la dalle. J'attache le cheval pour passer la mule en main. Il s'énerve, arrache l'arbre sur lequel il était attaché et tombe à la
renverse deux mètres plus bas sur le dos dans une ravine. Plus de peur que de mal - du coup il est sage pendant… une demi-heure. La halte du
soir est la bienvenue dans un hangar sur un chariot à foin, les chevaux avec de l'herbe et du foin.
20 Août. Aucune difficulté aujourd'hui. J'ai longé le Drac jusqu'à
Orcières puis attaqué la montagne, d'abord dans les bois et ensuite sous les remontées mécaniques. La mule fait encore un peu la tête mais ça va
mieux. On dort comme prévu à 2000 mètres d'altitude sous un télésiège. La vue sur les montagnes est grandiose. Il est 20 heures, le ciel est
bleu, les chevaux cassent la croûte et je suis sous la tente en train d'écrire le livre de bord. Soigneusement, je sirote un thé préparé à
cette attention. Le soleil se couche, moi aussi. |
24 Août: jour de pause. En allant demander un stylo fluo pour tracer
l'itinéraire du lendemain à une famille du hameau de Bouchier à qui j'avais expliqué mon projet la veille, je les trouve déguisés en
Chinois. Il y avait le grand-père pété de rire, sa fille, son beau-fils et ses petits enfants. L'idée du voyage leur avait un peu monté à la
tête…Ils m'invitent à boire le thé. Agréable moment.
25 Août: un hameau d'une centaines d'âmes " l'envers de fontenil ", m'accueille
dans un coin d'herbe à côté du lavoir sur la place du hameau, je fais l'attraction de l'année. Que des gens sympathiques, on m'offre du foin,
le pain dur, un petit déjeuner et pleins de questions. Je pense que l'on parlera longtemps de cette cavalière partant en Chine...
26 Août: en route vers l'Italie…sous la pluie et dans le froid, pluie qui
s'arrête deux heures le temps que j'arrive à la frontière, avec un pull de laine, regrettant gants et blouson. Vivement que mes affaires d'hiver
arrivent…et on est en Août. Pause casse-croûte à la frontière puis méga orage. Les temps d'accalmie me permettent parfois de relever la cagoule
du pancho histoire de me régaler du paysage, désert, sombre, grandiose. Je suis tranquille et en paix quand soudain dans le brouillard et la
pluie me parvient un bruit, sur ce chemin de caillasse, le bruit s'intensifie, venant de derrière et de devant, des lumières apparaissent
et là, comme ça, deux machines d'un autre temps se croisent sous mes yeux incrédules, deux machines irréelles, deux voitures, interfèrent
dans ce monde moyenâgeux puis les lumières s'évanouissent dans le brouillard, les bruits s'estompent et le crépitement de la pluie reprend
le dessus sur ce chemin de montagne bordé de conifères.
28 Août: Il faut trouver une solution pour passer le ravin. Je décide de
descendre les 300 m de dénivelé tout droit en suivant les traces des vaches pour rejoindre la route goudronnée en fond de vallon et prendre
une route de terre qui remonte de l'autre côté du ravin. La descente commence, tranquille, quand je vois la mule partir au grand galop en zig
zag dans la pente, coup de cul, zig zag, je descend, je remonte, le tout au galop, je pars dans la forêt, je réapparais…elle a du chuter dans un
essaim de guêpes. J'attends qu'elle se calme en m'éloignant de l'endroit. Quand elle revient, épuisée, j'enlève les dards et compte 22
piqûres. Il pleut
29 Août: Aujourd'hui, il s'agit d'atteindre " frais ", un hameau que je pense
atteindre chaque matin depuis trois jours. Le sentier est magnifique, superbement entretenu, il est étroit mais bien balisé. Un panneau 1 km
après le départ montre le dénivelé du sentier et indique " frais 17 km ". On dirait qu'il est là exprès pour moi. Il laisse présager un sentier
en flanc de colline me menant tout droit à l'étape du soir. Peut être même que je pourrais aller plus loin… A flanc de colline ; avec peu de
dénivelé, le petit sentier me mène à travers une forêt de conifères. Le sol est souple, agréable pour les chevaux. 5…10 km de bonheur, bon, la
raideur de la pente et l'étroitesse du chemin me font descendre du cheval. Il est quand même un peu couillon des fois alors on ne sait
jamais. Puis le sentier devient route forestière, je remonte sur le cheval et en avant : une route forestière, ça mène toujours quelque
part…oui, tout en haut, à un panneau interdiction de passer et à une ravine de 4 m de profondeur. Le torrent a emporté la route. Je redecsend,
plus bas, je rencontre un monsieur, qui malgré une trachéotomie et de la peine à respirer me propose de me mener à un autre point de passage. Je
laisse les chevaux chez lui et on va voir si ça passe. Non là aussi, le torrent a emporter le sentier. Il m'explique qu'il est tombé 6 m d'eau
et que tout a été dévasté par la pluie et les torrents qui se sont formés. Une solution : quitter ce flanc de montagne, passer dans la
vallée pour prendre en face l'autre flanc de montagne. […] Deux hameaux plus loin, je m'arrête quelques instants échanger quelques mots avec un
italien charmant ; une seule maison est habitée. Il en sort une voix de femme envoûtante qui chante et une odeur de casserole ; une vierge
invite par un panonceau celui qui va loin à s'arrêter quelques instants pour prier. Je vois l'homme rejoindre la voix s qui chante dans la
cuisine. J'hésite mais ne m'arrête pas : pas assez d'herbe pour les chevaux. J'écoute encore quelques instants puis poursuit mon chemin.
30 Août: Susa … je disais les italiens sont de sacrés bâtisseurs, toute la
montagne est en mur, des pentes à 60 % en murs pour obtenir 1 m² de terrains cultivables, des murs hors d'âge et indestructibles, des
milliers de tonnes de pierres charriées, des murs de 5 m de haut et un chemin dallé qui passe de parcelle en parcelle et descend la montagne.
Terrains aujourd'hui plus cultivés mais la montagne gardera encore longtemps l'empreinte du courage de ces hommes.
31 Août: normalement aujourd'hui c'est pause […] je n'aime pas cet endroit. A
15 h le camp est levé, de quoi marcher encore 3 heures, 3 heures riches en émotions, joie, espoir, espoir, tensions, déceptions, je cherche un
endroit ,[..], je cherche , tourne et finit par trouver ce que je cherchais : un sourire. Un accueil pour une seule nuit mais où je gagne
10 points de vie : un accueil chaleureux dans un petit hameau ou de partout ça piaille italien, ça s'interpelle de maison en maison, ça lave
son linge sale en public...Du foin, un enclos pour les chevaux, une grange pour dormir, un plat de pâtes tout prêt qui m'arrive juste quand
j'ai fini de me laver (avec un seau derrière la grange), plein de sourires et de bonne humeur. […] 3 heures de voyage et j'ai l'impression
qu'un mois s'est écoulé depuis ce matin tellement de choses différentes se sont passées. Du fond de mon duvet sur un matelas de foin, je me
penche sur mon livre " l'italien facile " et apprends ma première leçon
d'italien.
|